► HERE IS MY STORY

62 ans et pas une ride. Figé dans la beauté de ses 25 ans, Edris sourit. Elle n'a pourtant pas le coeur à sourire. Puis elle souffle ses bougies, en compagnie de ses amis. En petit comité, ils sont venu chez elle, dans cette villa immense qu'elle habite seule. Passer une année de plus, ça se célebre, dans une ville où le temps est une denrée aussi rare que convoitée. Surtout dans les time zone défavorisées. A New Greenwich, c'est pourtant quelque chose de banal. Ils ont tous des années au compteur, et laissent les minutes s'écouler paisiblement. Edris elle, maudit chaque seconde, et chaque minute qui passe, surtout aujourd'hui. Alors sans crier gare, elle leur demande de partir d'un ton sec, qui sonne comme un ordre, à ces soi-disant amis. Ils gâchent son anniversaire. C'est triste un anniversaire, surtout le sien. Ca ne se célèbre pas, la mort de quelqu'un. Sa mort à lui autant qu'à elle. Edris n'a pourtant pas toujours été aussi cynique, aussi renfermé. Au contraire, plus jeune, elle était souriante, avenante, pleine de vie. Elle aurait pu écouler des jours heureux. Rien à voir avec la femme froide et hautaine qui arbore tout les cocktails et soirées guindés du pimpant New Greenwich, avec un sourire de façade, toujours alcoolisé, parce que c'est moins pénible comme ça. A 62 ans, elle est devenu très douée à ce petit jeu là, d'ailleurs. Sauf pour son anniversaire, où ses démons reprennent le dessus. Ce jour là elle ne veut voir personne. Elle se cache pour mourir. Personne n'a a voir cette jolie poupée de porcelaine se briser, ce jour-là.


Elle avait 23 ans, quand elle l'avait rencontré. Il en avait 25, ou bien 26, son compteur avait fraîchement démarré en tout cas. Il venait de la time zone 7, un jeune homme plein d'ambitions, un brillant avenir devant lui, qui répondait au nom de Daniel. A l'époque, les habitants de New Greenwich aimait bien passer du temps à York. Depuis, les choses ont changé, mais il y a quelques années, le passage d'une zone à l'autre était plus facile, car plus abordable. venir dans la time zone 4 ne coûtait pas un an mais 6 mois, par exemple. Edris ne se rapellait plus trop de leur rencontre, il faut dire que beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis. Certains vous auraient parlé de coup de foudre, Edris n'aime pas trop cette expression. Elle préférera vous dire que, quand leur regard se sont croisés la première fois, elle s'est senti toute drôle, quand il lui a sourit. La suite leur appartient
Les parents d'Edris, respectivement 102 et 84 ans affichés sur leur bras, ne voyaient pas d'un très bon oeil la relation de leur fille. Elle s'était amouraché d'un type dont le compteur ne dépassait jamais, ou très rarement, le mois entier. Ils étaient persuadé qu'il s'était approché d'Edris uniquement car il en avait après son temps. Alors que même passé ses 25 ans, un demi-siècle sur le bras en permanence, il n'avait jamais voulu du temps d'Edris. En froid, elle ne parlait alors plus à ses parents. C'est toujours le cas depuis.


Dan avait économisé, pendant des mois et des mois, pour lui faire la surprise, jusqu'à avoir un peu plus d'une année. Pour ses 26 ans, il avait voulu la voir à New Greenwich, chose qu'il n'avait jamais fait. C'est toujours Edris qui venait, car elle en avait les moyens. Il était prévu qu'en rentrant chez elle, dans un immense appartement au plein coeur de New Greenwich, elle se retrouve nez à nez face à lui. Il avait pris un taxi, puis avait passé la frontière, loin de se douter que son chauffeur n'était autre qu'un voleur de temps. Il ne pouvait pas voler aux habitants de la zone 4, c'était trop risqué. Ils avaient tous une armée de garde du corps, et une enquête serait ouverte. Qui se souciait d'un touriste venu du 7? Bien sur, on allait enquêter, une semaine ou deux, grand maximum, et l'affaire tomberait à l'eau. En le déposant devant l'immeuble d'Edris, le chauffeur empoigna le bras de Dan, et lui vida son compteur, jusqu'au 13 zéros fatidique, avant de le jeter hors de son taxi, mort.


Une heure plus tard, Edris rentrait. Une scène abominable se tenait devant ses yeux. Une demie douzaine de Time Keepers, autour du corps sans vie de l'homme qu'elle aimait, homme qui n'aurait jamais du être là. Elle se précipita sur lui, en larmes, complètement dévasté, le coeur en miettes. Les gens n'ont pas l'habitude du deuil dans la time zone 4, alors quand il frappe, la douleur n'est que plus intense, car inattendu, et Edris en a fait douloureusement les frais. La vidéo surveillance montra clairement le coupable, qui avait pris soin de lever l'ancre entre temps. L'enquète fut fermé, faute de moyens, et de motivations, selon Edris.

Alors elle s'isole, se renferme, ne veut plus voir personne, car personne n'est capable de lui redonner gout à la vie. Et quand elle ressort enfin de sa bulle, c'est transformé. Avec le temps elle aurait pu s'en remettre, et pourquoi pas retrouver quelqu'un. Mais l'envie n'y était pas, et elle n'y serait plus jamais. A partir de là, elle commence à dépenser son temps sans compter. Elle se met à jouer, à parier de façon déraisonné. Miraculeusement, elle arrive toujours à se refaire, même lorsque son compteur n'affiche plus qu'une heure. Le destin est ironique, le destin est une sale conne, c'est ce qu'elle avait l'habitude de dire. Combien rêverait d'avoir autant de temps qu'elle affiché sur le bras sans jamais y parvenir. Edris rêverait de tout perdre sur un coup de poker. Elle a tenté le diable de nombreuses fois, et c'est comme ça qu'elle veut finir, trop lâche ou pas encore assez désespéré pour simplement se laisser aller.